La traduction du Coran par Marmaduke Muhammad Pickthall (1930)

Steve Noyes et Geoffrey Nash

La traduction du Coran composée par Marmaduke Pickthall est publiée à New York, en 1930, par Alfred A. Knopf. Elle est le fruit d’un immense travail, qui n’aurait pu aboutir sans un congé de deux ans octroyé au traducteur par le nizam d’Hyderabad, à la cour duquel il travaille. Pickthall présente son ouvrage comme « la première traduction du Coran par un Anglais musulman » : manière pour lui de remettre en cause les versions anglaises antérieures, réalisées par des générations de compatriotes qui n’étaient pas des croyants déclarés.

Éléments biographiques

Marmaduke Pickthall naît à Londres le 7 avril 1875, dans une famille de clercs anglicans. Son père, recteur d’une paroisse de campagne dans le Suffolk, meurt alors qu’il est encore jeune. Il reçoit une éducation typique de la classe moyenne supérieure, mais quitte la Harrow School au bout de deux ans, « ayant failli faire une grave dépression ».

La prédilection de Pickthall pour les langues et la géographie l’amène à étudier en France et en Italie pendant plusieurs années : il y apprend le français et l’italien, puis complète son bagage avec l’allemand et l’espagnol, grâce à des cours à domicile. Mais en 1894, malgré ces éminentes qualités de linguiste, sa tentative d’entrer au Service Consulaire pour la Turquie, la Perse et le Levant se solde par un échec. Afin d’échapper à son pays natal, Pickthall, âgé de dix-huit ans, se rend au Proche-Orient où, évitant les expatriés, il choisit plutôt la compagnie d’un dragoman local, qui lui présente les petites gens de Palestine. Enchanté par leur mode de vie et apprenant rapidement leur dialecte arabe, il est sur le point de se convertir à la foi musulmane, quand le Šayḫ al-ʾislām de la mosquée des Omeyyades à Damas l’en dissuade, en raison de son jeune âge et du fait qu’il se trouve loin de sa patrie.

Pickthall met à profit ses expériences de jeunesse au Levant dans des romans littéraires à sujets orientaux, comme Saïd the Fisherman (1903) et The Children of the Nile (1908). Dans les quelques années qui précèdent le début de la Première Guerre mondiale, il continue à visiter l’Égypte et la Palestine, et à écrire régulièrement des articles sur le Proche-Orient, s’intéressant en particulier à ce qu’il considère comme une politique étrangère irréfléchie à l’égard de l’Empire ottoman, de la part de la Grande-Bretagne. À partir de 1914, son soutien politique à la Turquie est assimilé par certains à une trahison envers son propre pays, qui se bat dans le camp opposé.

En novembre 1917, il se déclare musulman et, en 1919, il devient imam temporaire de la mosquée de Woking, dans le Surrey. Mettant à profit sa connaissance de l’arabe, il introduit dans ses ḥuṭbah.s (sermons) ses propres traductions des versets du Coran.

En 1920, Pickthall quitte l’Angleterre pour l’Inde afin d’occuper le poste de rédacteur en chef du Bombay Chronicle. Contraint de démissionner en 1924, en raison d’un changement de propriétaire, il finit sa carrière à Hyderabad, d’abord comme directeur de la Chadaragat High School for Boys, puis à la cour du nizam d’Hyderabad : c’est pendant cette période qu’il obtient son congé pour traduire le Coran. De 1927 à 1935, il dirige la revue Islamic Culture. Puis il prend sa retraite en Angleterre, où il meurt l’année suivante, en 1936.

The Meaning of the Glorious Koran

Dans son avant-propos, Marmaduke Pickthall fait preuve de respect et de modestie en expliquant le titre qu’il a choisi pour sa traduction : « le résultat n’est pas le Coran Glorieux, cette inimitable symphonie dont les sons mêmes émeuvent les hommes jusqu’aux larmes et à l’extase. Ce n’est qu’une tentative de présenter le sens du Coran – et peut-être un peu de son charme – en anglais. Cette tentative ne pourra jamais remplacer le Coran en arabe, et n’est pas destinée à le faire ».

La traduction du Coran par Pickthall est l’un des artefacts interculturels les plus impressionnants de l’époque. Pendant qu’il réalise son travail, deux traducteurs indiens tombés sous l’influence des Britanniques, Maulana Muhammad Ali et Abdullah Yusuf Ali, entreprennent leurs propres versions. Tous trois sont engagés dans l’Empire britannique et se montrent, sur des points importants, favorables au modernisme islamique du type de celui qui a été développé pour la première fois en Inde par Sayyid Ahmad, khan d’Aligarh : dans le cas de Pickthall, l’islam progressiste de la Turquie ottomane épousé par certains membres du mouvement Jeune-Turc joue également un rôle.

Dans son introduction, Pickthall affirme que la sincérité de sa foi l’aidera : « on peut raisonnablement affirmer qu’aucune Écriture sainte ne saurait être présentée de manière équitable par quelqu’un qui ne croit pas à son inspiration et à son message ». À ses yeux, les précédentes traductions anglaises ont déformé le Coran, parce qu’elles « incluent des commentaires offensants pour les musulmans » et « emploient un type de langage que les musulmans reconnaissent immédiatement comme indigne ».

Sur la moralité du Coran, Pickthall note à propos de la sourate ii : « Tout au long de cette sourate se fait entendre l’avertissement, qui résonne d’ailleurs dans tout le Coran, selon lequel la vraie religion ne consiste pas dans une simple profession de foi, mais dans la droiture de la conduite ». Ce refus du sectarisme se manifeste en particulier dans le fait qu’il ne traduit pas al-mu’minīn ou al-muslimūn par « musulmans », mais plutôt par « ceux qui se rendent » et al-Islam par « La reddition » (iii, 19 ; iii, 52 ; iii, 64 ; iii, 84) : ce qui peut refléter l’attitude non sectaire des convertis anglais à l’islam avec lesquels Pickthall s’est d’abord associé. Il entend d’ailleurs présenter le Coran « aux musulmans anglais » comme un texte rationnel et juste. Dans l’introduction de la sourate xxx, il souligne ainsi l’équité d’Allah : « sa miséricorde, comme sa Loi, embrasse toute chose, et la règle qui fonde son jugement est la même pour tous. Il n’est ni distant, ni indifférent, ni partial, ni capricieux… et personne ne peut, d’une profession de foi à peine murmurée, échapper à sa Loi de rétribution ».

Dans ces introductions, où il cite longuement ses sources, il est intéressant que Pickthall présente le prophète Muḥammad comme un homme parmi ses semblables, parfois sujet à des doutes et à des angoisses (sourate xciii), préoccupé par les effets de ses décisions sur son entourage et sensible aux droits des femmes (sourates xxxiii et lxvi) ; qu’il décrive les musulmans comme un peuple qui aspire à la paix avant la trêve de Houdaybiya (sourate xlviii). Ces passages reprennent des thèmes de sa biographie introductive du prophète : il est possible que Pickthall, en choisissant de développer ces thèmes, ait voulu contrer les opinions négatives et les préjugés sur Muḥammad et sur l’islam.

Le Coran regorge de répétitions, et Pickthall les traduit constamment à l’identique : cela donne de la cohérence à sa traduction. Parfois, une note de bas de page avertit le lecteur d’un motif récurrent, comme au verset 2 de la sourate x ou au verset 7 de la sourate xi : dans ce second passage, le lecteur est renvoyé de « Ton Seigneur est Allah, qui a créé les cieux et la terre en six jours » au verset 47 de la sourate xxii, au verset 5 de la sourate xxxii et au verset 4 de la sourate lxx, où le thème unificateur se révèle être la différence entre les mesures humaines et divines du temps. Toutefois, l’ouvrage ne comporte pas de renvois internes systématiques en notes ni de concordance.

La caractéristique la plus évidente de la traduction de Pickthall est qu’il a choisi de rendre le Coran en anglais jacobéen, la langue de la version « King James » de la Bible. Ce registre archaïque se remarque à différentes formes de pronoms (thee, thou, thy, thine), à des adverbes passés de mode (thenceforth, therefrom, whencefrom) et à la terminaison des verbes aux deuxième et troisième personnes (bringeth et bringest). Bien que la Bible puisse influencer ses idées sur la qualité sonore d’un texte sacré, Pickthall considère le Coran comme apparenté mais distinct de la Bible et de la Torah, qualifiant sa thèse centrale « d’étonnamment originale ». Dans son introduction à la sourate iii, il s’insurge contre « [Edwin] Muir et d’autres écrivains chrétiens », qui accusent le texte coranique de puiser son contenu dans les écritures chrétiennes et juives : « c’est absurde car l’ensemble du Coran s’y oppose ». De même, dans sa note au verset 103 de la sourate xvi, il apporte cette précision : les idolâtres (mušrikūn) ont faussement prétendu qu’un esclave chrétien avait enseigné le Coran à Muḥammad. Autant de marqueurs sans équivoque, qui lui permettent de prendre ses distances avec des siècles de dénigrement orientaliste.

On a pu trouver indigestes les archaïsmes de son style, mais le lecteur pourrait être plus déconcerté par son utilisation occasionnelle d’anglicismes tels que « aught » et « nought », et par l’emploi de verbes rares comme « avail », « vouchsafe » et « appertain ». En fait, Pickthall semble avoir adopté tardivement le style archaïque car ses brèves traductions du Coran publiées dans The Islamic Review and Muslim India entre 1917 et 1919 sont d’un registre nettement moins soutenu. Ce choix stylistique s’interprète sans doute comme une tentative pour capter le ton élevé et l’élégance formelle de l’arabe coranique (fuṣḥā).

Le recours à une expression désuète pose parfois des problèmes, en particulier lorsque Pickthall tente d’imiter la syntaxe de l’arabe et qu’il duplique les phrases de façon littérale et maladroite, comme aux versets 40-44 de la sourate xiii, où il choisit de conserver la construction parallèle arabe « wa minhum man » : So we took each one in his sin; of them was he on whom We sent a hurricane; and of them was he who was overtaken by the (Awful) cry; and of them was he whom We caused the Earth to swallow; and of them was he whom we drowned. [Les soulignements sont nôtres.]

Toutefois, cette imitation fastidieuse de la syntaxe arabe permet de rendre nombre de parallélismes. Par exemple, au verset 41 de la sourate xxix, Pickthall écrit : « The likeness of those who choose other patrons than Allah is as the likeness of the spider when she taketh unto herself a house… », en prenant soin de reproduire formellement l’expression de la similitude, alors que Haleem, par exemple, choisit d’utiliser une tournure plus idiomatique, « …can be compared to spiders building themselves houses ».

C’est précisément parce que Pickthall combine fidélité à la phraséologie arabe, longues phrases construites avec des conjonctions de coordination et fréquentes interpolations entre crochets que les lecteurs peuvent trouver longs et difficiles certains des passages prescriptifs, comme le verset 12 de la sourate iv : And if a man or woman have a distant heir (having left neither parent nor child), and he (or she) have a brother or a sister (only on the mother’s side) then to each of them twain (the brother and the sister) the sixth, and if they be more than two, then they shall be sharers in the third, after any legacy that may have been bequeathed or debt (contracted) not injuring (the heirs by willing away more than a third of the heritage) hath been paid.

Comme l’idiome de Pickthall reste archaïque tout au long de l’ouvrage, il a du mal à rendre l’iltifāt du Coran, cette « rotation » sublime, ce glissement d’une forme de rhétorique vers une autre. L’uniformité du style l’emporte si bien que les hommes, dans le Coran, semblent parler de la même manière qu’Allah. Dans les versets 3 à 5 de la sourate xii, la voix de Dieu (« We narrate unto thee (Muhammad), the best of narratives in that we have inspired in thee this Qur’an, though aforetime thou wast of the heedless ») ne se distingue pas facilement de la voix du père de Joseph (« Thus thy Lord will prefer thee and will teach thee the interpretation of events and will perfect his grace upon thee… »). De même, lorsque du discours est rapporté au style direct, la traduction de Pickthall peut parfois sembler excessivement verbeuse et surannée, comme dans les versets 68 à 70 de la sourate xviii : « He said: Lo! Thou canst not bear with me. How canst thou bear with that whereof thou canst not compass any knowledge? He said: Allah willing, thou shalt find me patient and I shall not in aught gainsay thee ».

S’efforçant de parvenir à une traduction littérale, Pickthall veut que chaque verset soit pleinement compréhensible. Aussi utilise-t-il fréquemment des interpolations entre parenthèses pour plus de clarté, comme aux versets 62 à 63 de la sourate ii : « Those who believe (in that which is revealed unto thee, Muhammad)… » et « And (remember, O children of Israel) when we made a covenant… ». Dans les sourates narratives, Pickthall l’habile romancier est au travail, à qui ces parenthèses assurent que le lecteur sait qui parle, quel est le sens exact et ce qui se passe. Ainsi, aux versets 46 et 83 de la sourate xii : « (And when he came to Joseph in the prison, he exclaimed): Joseph! O thou truthful one! » et « (And when they came unto their father and had spoken thus to him) he said: Nay, but your minds have beguiled you into something. (My course is) comely patience! »

Un exemple intéressant de ses tendances à la littéralité est le verset 138 de la sourate ii, où Pickthall traduit ṣibġata par « colour » et « colouring » : « (We take our) colour from Allah, and who is better than Allah at colouring ». Ṣibġata signifie effectivement couleur, mais ce mot désigne aussi le fait de teindre ou de fixer une couleur en plongeant un tissu dans l’eau et, au figuré, d’inviter quelqu’un à entrer dans quelque chose : Yusuf Ali et Haleem, plus enclins à étendre le sens dans leurs traductions, parlent de « baptême ». Les choix de Pickthall peuvent parfois sembler excentriques par rapport à d’autres versions. Au verset 34 de la sourate iv, où il s’agit de réagir face à des épouses désobéissantes, Sahih, Yusuf Ali et Muhammad traduisent ‘idribūhunna par « frappez-les (légèrement) » ou « battez-les (légèrement) », tandis que Muhammad Asad prend soin de nuancer « battez-les » en citant des ḥadīṯ.s et des tafsīr.s : la frappe doit être essentiellement symbolique et ne pas causer de blessures. Pickthall, au contraire, traduit le terme par « scourge them », verbe que l’Oxford Dictionary définit ainsi : « fouetter ; causer une grande souffrance », ce qui a des connotations de cruauté archaïque.

Pickthall rencontre aussi des difficultés inévitables lorsqu’il traduit certaines particularités du mode de vie quotidien des Arabes, et souvent des Arabes païens : des équivalences sont nécessaires, et le vocabulaire choisi fait parfois penser à une pastorale anglaise littéraire, comme au verset 20 de la sourate lvii, « the likeness of vegetation after rain, whereof the growth is pleasing to the husbandman » ; ailleurs, les substantifs « bondman », « guerdon », « tilth » ou « cattle-fold » sont tout aussi datés. Cependant, il arrive à Pickthall de fournir d’utiles interprétations sur les croyances anciennes, alors que le sens littéral est opaque : à propos des versets 4 et 5 de la sourate cxiii, il explique la pratique de divination arabe païenne consistant à souffler sur des nœuds, après s’être contenté de l’expression plus générique « evil of malignant witchcraft » dans la traduction proprement dite.

Sources

Pickthall se rend au Caire en 1928 pour travailler à sa traduction. Il y rencontre un certain Dr. Krenkow, le cheikh Mustafa al-Maraghi, ancien recteur de l’université d’Al-Azhar, et Muhammad al-Ghamrawi, de la faculté de médecine du Caire, qui l’aident pour les mots arabes anciens et dans ses révisions. Sans doute connaît-il aussi le lexique arabe-anglais d’Edward Lane.

Son ouvrage est délibérément pauvre en références aux commentaires coraniques, ou tafsīr.s : il est clair qu’il considère la traduction comme sa tâche principale. La majorité de ses références aux tafsīr.s se trouvent dans ses introductions aux sourates. Il note généralement le verset d’où provient le nom de la sourate, et établit la date et les circonstances de la révélation (ʾasbāb al-nuzūl), en s’appuyant sur la Sīra de l’historien arabe Ibn Hisham, et dans une moindre mesure sur celle d’Ibn Khaldoun. Il cite également, à l’occasion, l’érudit allemand Theodor Nöldeke.

Lorsqu’il énonce une opinion consensuelle tirée des tafsīr.s, Pickthall s’appuie sur des formules telles que « certains commentateurs », « certains commentateurs arabes », et ainsi de suite ; mais les consensus dont il fait ainsi état ne se vérifient pas toujours dans les analyses plus complètes que l’on trouve par exemple dans The Study Quran. Ainsi, à propos des versets 46 à 76 de la sourate lv : « certains ont soutenu », écrit Pickthall, qu’il s’agit de prédictions de futures victoires musulmanes, plutôt que de descriptions du Paradis. De même, dans son introduction à la sourate lxxxvi : « certains disent » que l’étoile du matin (Ṭāriq) fait référence à une comète présageant la venue de Muhammad. Mais ni The Study Quran ni la traduction du Coran par Abdel Haleem ne font référence à de telles interprétations.

En ce qui concerne les auteurs de tafsīr.s, Pickthall dit avoir consulté al-Kaššāf ʿan ḥaqāʾiq ġawāmiḍ al-tanzīl wa ‘uyūn al-aqāwīl fī wujūh al-taʾwīl (XIIe siècle) d’al-Zamaḫšarī, l’Anwār al-tanzīl wa ʾasrār al-taʾwīl d’al-Bayḍāwī (XIIIe s. ) et le Tafsīr al-Ğalālayn d’al-Suyūṭī et al-Maḥallī (XVe-XVIe s.). Il ressort en outre de The Study Quran que certaines des citations de Pickthall reflètent les opinions d’al-Qurṭubī, d’Ibn al-Ğawzī, d’al-Baġawī et d’Ibn Kaṯīr. En l’absence de notes explicatives plus complètes, on peut faire sien le jugement d’Abdur Raheem Kidwai selon lequel « leur influence sur [l]a compréhension [du texte coranique par Pickthall] ne peut être mesurée ».

Pickthall n’inclut que rarement une opinion soufie ou mystique. Une exception se trouve dans le verset 75 de la sourate xxxviii, où il interprète de la façon suivante le propos d’Allah, « J’ai créé avec mes deux mains » : « Les mystiques musulmans expliquent ce passage comme signifiant "avec les attributs glorieux et terrifiants de Dieu" ». De même, dans le verset 31 de la sourate ii, Pickthall reprend à son compte une interprétation soufie du « nom des choses » qu’Allah a enseigné à Adam. Mais le faible nombre des références aux interprétations mystiques ou allégoriques se remarque surtout dans les premières sourates mecquoises apocalyptiques, car ces interprétations sont abondamment utilisées, au contraire, dans les autres traductions.

Réception et réimpressions

La traduction de Pickthall se heurte d’abord à la résistance des oulémas cairotes de l’université d’Al-Ahzar, dont certains remettent en question l’opportunité de traduire le Coran. Le cheikh Muhammad Shakir critique son projet dans le journal Al-Ahram, et Pickthall doit défendre son travail dans Islamic Culture. Bien que le recteur d’Al-Ahzar parle de « la meilleure de toutes les traductions », il n’en autorise pas l’utilisation en Égypte. Pickthall note : « La raison invoquée pour cette interdiction est que j’ai traduit littéralement en anglais des phrases idiomatiques et métaphoriques en arabe, montrant ainsi que je n’ai pas compris leur véritable sens ». Ce type de critique resurgit dans les années 1980 au Pakistan et en Inde, Ahmad Ali et Allama Razi Mujtahad relevant chez Pickthall ce qu’ils considèrent comme une connaissance limitée de l’arabe et des inexactitudes de traduction : des critiques que l’on trouve également chez un autre traducteur du Coran, Muhammad Asad.

Cependant, lorsque The Meaning of the Glorious Koran est publié en 1930, il est accueilli avec enthousiasme dans le monde littéraire anglais. Lord George Lloyd, ancien haut-commissaire d’Égypte, Sir Denison Ross, linguiste et fondateur de la London School of Oriental Studies, et l’érudit islamique indien ahmadiyya Maulana Muhammad Ali, entre autres, en font la recension et l’admirent. Le Times Literary Supplement le qualifie de « chef-d’œuvre littéraire ».

La traduction de Pickthall est republiée en 1938, dans une version bilingue, par la Government Press d’Hyderabad. Elle est acquise par Allen et Unwin en 1939, puis par la New American Library en 1953. Depuis qu’elle est tombée dans le domaine public et jusqu’à nos jours, elle n’a cessé d’être imprimée. Worldcat recense plus de deux cents réimpressions en 2022. Plus de quatre-vingt-dix ans après sa première publication, cette version est toujours citée dans le cadre de débats scientifiques sur la traduction du Coran, et de nombreux articles de journaux la mentionnent lorsqu’ils traitent de problèmes se posant aux traducteurs. De nombreux sites web consacrés au Coran (par exemple, Quran.com, al-Islam.org/quran et al-quran.info) accompagnent le texte arabe de la traduction de Pickthall. Certaines réimpressions récentes le mentionnent comme traducteur sur la page de titre, tout en se présentant comme des éditions « nouvelles » ou « révisées » d’après l’original. Mais selon Adur Raheem Kidwai, « on a constaté dernièrement que des traducteurs reprenaient » Pickthall « sans scrupules et ad verbatim », en omettant de le citer.

Conclusion

La traduction de Pickthall, bien que de style quelque peu archaïque, est remarquablement cohérente et reste aussi proche que possible des tournures syntaxiques de l’arabe. Elle est généralement acceptée dans le monde musulman comme un guide fiable pour comprendre le sens du Coran, ou du moins le ẓāhir, son sens extérieur : ce qui, après tout, était l’intention du traducteur. Elle ne fait pas particulièrement autorité sur les interprétations contenues dans les tafsīr.s, qu’elle ne prétend pas détailler, et ne se mêle pas de lectures linguistiques, mystiques ou allégoriques sophistiquées. Elle reste une référence précieuse pour les spécialistes de la traduction du Coran et pour les musulmans anglophones : elle a perduré.

Pour en savoir plus

La source XML de l’édition que nous vous présentons provient du site tanzil.net. Le texte a été émendé par Mouhamadoul Khaly Wélé, qui l’a également encodé en XML-TEI. Nous ne présentons pas encore l'introduction et l'apparat critique. Pour de premières orientations bibliographiques, on consultera :


Abdel Haleem (Muhammad), Understanding the Qur’ān: Themes and Style, Londres, Bloomsbury, 2010.

Bleyhesh Al-Amri (Waleed), « Qur’ān Translation / Issues and Challenges: An Interview with Waleed Bleyesh Al-Amri », Aligarh Journal of Qur’anic Studies, vol. 2, no 2, octobre 2019 (disponible en ligne).

Clark (Peter), Marmaduke Pickthall: British Muslim, Londres, Quartet, 1986.

Kidwai (Abdur Raheem), « Muhammad Marmaduke Pickthall’s English Translation of the Quran (1930): An Assessment », dans Geoffrey Nash (éd.), Marmaduke Pickthall: Islam and the Modern World, Leyde et Boston, Brill, 2017, p. 231-247.

Kidwai (A.R.), God’s Word, Man’s Interpretation: A Critical Study of the 21st Century English Translations of the Quran, Delhi, Viva Books, 2018.

Mohammed (Khaleel), « Assessing English Translations of the Qur’ān », Middle East Quarterly, printemps 2005, p. 58-71.

Nasr (Seyyed Hossein) (éd.), The Study Qur’ān: A New Translation and Commentary, New York, Harper-Collins, 2015.

Pickthall (Marmaduke), « The Qur’ān », The Islamic Review and Muslim India, vol. 6, no 7, juillet 1919, p. 9–16 (disponible en ligne).

Pickthall (Muriel), « Personalia », Islamic Culture, vol. 11, 1937, p. 138-142 (en particulier p. 138).

D’abord écrite en anglais par ses auteurs, la présente notice a été traduite en français par Tristan Vigliano, avec la collaboration de Mouhamadoul Khaly Wélé.