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Blachère, 1957

Sourate XII.
Joseph.

Titre tiré du récit qui commence au vt. 4.

L’unité de cette sourate a été maintes fois signalée. Dans son état actuel, on a ici le type parfait de l’homélie tripartite avec une courte introduction (vt. 1-4), — l’histoire de Joseph dont les divers épisodes sont ceux de la Genèse, XXXVII, XXXIX à XLV, mais dont certains détails se retrouvent seulement dans la littérature rabbinique, — une conclusion invitant les Incrédules à écouter la voix de Dieu.

Joseph est le symbole du juste qui, guetté par sa peccabilité autant que par la méchanceté des hommes, parvient pourtant à se maintenir dans la voie de Dieu et à pardonner le mal qu’on lui fit en sa jeunesse.

Au nom d’Allah, le Bienfaiteur miséricordieux.

1 A. L. R. Ce sont les aya de l’Écriture explicite. [1]

2 Nous l’avons fait descendre en une Prédication arabe [afin que] peut-être vous raisonniez.

3 Par ce que Nous t’avons révélé en cette Prédication, Nous te contons les plus beaux contes, bien qu’avant cela tu aies certes été parmi les Insouciants. [2]

[259]

[Joseph livré par ses frères.]

4 Quand Joseph dit à son père : « Cher père ! j’ai vu [en songe] onze étoiles ainsi que le soleil et la lune devant moi se prosternant », [3]

5 [son père] lui répondit : « Cher fils ! ne conte point ton rêve à tes frères, sans quoi ils trameront contre toi une ruse. Le Démon est pour l’Homme un ennemi déclaré.

6 Ainsi ton Seigneur te choisira. Il t’enseignera l’interprétation des énigmes. Il parfera envers toi Ses bienfaits ainsi qu’envers la famille de Jacob, comme Il les a parfaits, avant toi, envers tes aïeux Abraham et Isaac. Ton Seigneur est omniscient et sage. » [4]

7 Certes, en Joseph et ses frères, ont été des signes pour ceux qui interrogent,

8 quand [ses frères] dirent : « Assurément, Joseph et son frère [Benjamin] sont, plus que nous, aimés de notre père. Nous sommes cependant plusieurs. En vérité, notre père est certes dans un égarement évident. [5]

9 Tuons donc Joseph ou éloignons-le en quelque terre ! La face de notre père ne brillera plus que pour nous et, après la disparition de Joseph, nous paraîtrons des gens sans tache. » [6]

10 L’un d’eux dit : « Ne tuons pas Joseph, mais jetons-le dans les profondeurs de tel puits ! Quelques voyageurs le recueilleront si vous faites cela. » [7]

11 — « Père ! », dirent-ils [à Jacob], « pourquoi ne nous fais-tu point [260] confiance au sujet de Joseph ? En vérité, nous sommes pour lui certes dévoués !

12 Envoie-le avec nous demain ! Il s’ébattra et jouera, et en vérité, nous veillerons certes sur lui ! » [8]

13 — « Je suis certes triste », répondit [Jacob], « que vous l’emmeniez. Je crains que le loup ne le mange tandis que vous serez insoucieux de lui. »

14 — « Certes », répliquèrent-ils, « si le loup le mange alors que nous sommes plusieurs, nous serons certes alors malchanceux ! »

15 Quand ils eurent emmené Joseph et furent tombés d’accord pour le jeter dans les profondeurs d’un certain puits, [quand] Nous eûmes révélé [à Joseph, pour le consoler] : « Tu leur rediras, sans qu’ils le pressentent, leur actuel méfait ! », [9]

16 [quand] ils furent revenus le soir à leur père, en pleurant, ils s’écrièrent : « Père ! Nous étions partis pour lutter à la course et avions laissé Joseph auprès de nos effets, et le loup a mangé [notre frère] ! Tu ne vas pas nous croire bien que nous soyons sincères. »

18 Ayant présenté [à Jacob] une tunique tachée d’un sang qui n’était pas celui de Joseph, [Jacob] s’écria : « Vos âmes vous ont suggéré un crime ! Douce patience ! Allah est Celui dont l’aide est demandée contre ce que vous débitez ! » [10]

19 Des voyageurs arrivèrent. Ils dépêchèrent celui chargé de la corvée d’eau et il jeta son seau [dans le puits]. « Bonne nouvelle ! », s’écria-t-il. « Voici un garçon ! », et ils le cachèrent pour le revendre. [Mais] Allah était très savant de ce qu’ils feraient. [11]

20 Ils se défirent [de Joseph] à vil prix — pour quelques dirham — [car] ils ne tenaient pas à le garder. [12]

[261]

[Tentation de Joseph.]

21 L’homme qui, en Égypte, l’avait acheté, dit à sa femme : « Fais-lui bon accueil ! Peut-être nous sera-t-il utile ou le prendrons-nous comme enfant ». C’est ainsi que Nous établîmes Joseph en ce pays pour lui apprendre quelque interprétation des énigmes. Allah est souverain [maître] de Son Ordre, mais la plupart des Hommes ne savent point. [13]

22 Quand Joseph eut atteint sa nubilité, Nous lui donnâmes Illumination (ḥukm) et Science. Ainsi Nous récompensons les Bienfaisants.

23 Celle dans la demeure de qui il était le tenta de ses charmes. Elle ferma bien les portes et dit : « Me voici à toi ! » — « Allah me préserve ! », s’écria Joseph. « Il est mon maître et il m’a fait bon accueil. En vérité, les Injustes ne seront point les Bienheureux. » [14]

24 Elle et lui eussent cédé à leur pensée si [Joseph] n’avait point vu la manifestation de son Seigneur. Ainsi Nous fîmes pour détourner de lui le mal et l’ignominie. Il fut parmi Nos serviteurs dévoués. [15]

25 Ils coururent donc vers la porte et [la femme] déchira la tunique de Joseph, par derrière, [en voulant le rejoindre]. Ils trouvèrent l’époux de [cette dame] devant la porte et [la femme] s’écria : « Quelle est la récompense de celui qui a eu mauvais dessein sur ton épouse, sinon la prison ou un tourment cruel ? » [16]

26 [Mais Joseph] interrompit : « C’est elle qui m’a tenté de ses charmes ! » Un témoin de la famille [de la dame] attesta que, si la tunique de [Joseph] était déchirée par devant, [la femme] était sincère, tandis que [Joseph] était un menteur, [17]

27 mais que si sa tunique était déchirée par derrière, c’était elle qui mentait, tandis que [Joseph] était sincère.

[262] 28 Ayant vu que la tunique était déchirée par derrière, [le maître de Joseph] cria : « C’est là un fait de votre artifice de femmes ! Votre artifice est immense ! [18]

29 Joseph ! détourne [ta pensée] de cela ! et [toi, femme !,] demande pardon de ton péché ! Tu es parmi les fautifs. »

30 Dans la ville [cependant], des femmes dirent : « La femme du Puissant a tenté de ses charmes son valet qui l’a percée d’amour pour lui. En vérité, nous la voyons certes dans un égarement évident. » [19]

31 Ayant ouï leur artifice, [la coupable] dépêcha [quelqu’un] vers elles, leur fit préparer des oranges et donna à chacune d’elles un couteau. « Entre auprès d’elles ! », ordonna-t-elle [à Joseph]. Quand [les femmes] l’eurent aperçu, elles le trouvèrent si beau qu’elles se tailladèrent les mains [dans leur émoi] et s’écrièrent : « A Dieu ne plaise ! Ce n’est pas un mortel ! C’est un noble archange ! »

32 [La femme coupable] dit : « Voici celui à propos de qui vous m’avez blâmée. Je l’ai certes tenté de mes charmes, mais il est resté impeccable. Si néanmoins il ne fait pas ce que je lui ordonne, il sera certes emprisonné et se trouvera parmi les misérables ! »

33 — « Seigneur ! », s’écria [Joseph], « la prison m’est plus aimable que ce à quoi me convient ces femmes. [Pourtant], si Tu ne détournes point de moi leur artifice, je céderai à leurs blandices et serai parmi les Sans Loi. »

34 Son Seigneur l’exauça et écarta de lui leur artifice. Il est l’Audient, l’Omniscient.

[Emprisonnement de Joseph. Ses prédictions.]

35 Plus tard, après qu’ils eurent vu les signes, il parut bon [aux Égyptiens] d’emprisonner [Joseph] pour un temps.

36 Avec lui, deux adolescents entrèrent dans la prison. L’un d’eux déclara : « Je me vois [en songe] broyant du raisin. » Et l’autre dit : « Je me vois [en rêve] portant sur ma tête des pains dont picorent les oiseaux. Avise-nous, [Joseph], de l’interprétation de ces songes ! Nous te verrons parmi les Bienfaisants. » [20]

[263] 37 — « La nourriture qui vous est attribuée ne vous parviendra point », répondit [Joseph], « que je ne vous aie avisés de l’interprétation de ces songes, avant qu’ils ne se réalisent. Cela [vient] de ce que m’enseigna mon Seigneur. J’ai abandonné la religion [milla] d’un peuple qui ne croyait point en Allah et qui était incrédule en la [Vie] Dernière. [21]

38 J’ai suivi la religion [milla] de mes ancêtres Abraham, Isaac et Jacob. Il ne nous appartient pas d’associer quoi que ce soit à Allah. C’est là [une] faveur d’Allah pour nous et pour les Hommes. Mais la plupart des Hommes ne sont pas reconnaissants.

39 O vous, mes compagnons de prison !, des dieux séparés vaudraient-ils mieux qu’Allah, l’Unique, l’Invincible ?

40 Ceux que vous adorez, en dehors de Lui, ne sont que des noms dont vous les avez nommés, vous et vos ancêtres. Allah ne fit descendre avec eux aucune probation. Le Jugement n’appartient qu’à Allah. Il a ordonné que vous n’adoriez que Lui. C’est la Religion immuable. Mais la plupart des Hommes ne savent point.

41 O vous, mes compagnons de prison !, l’un de vous sera l’échanson de son maître. Quant à l’autre, il sera crucifié et les oiseaux lui picoreront la tête. Décrété est l’Ordre sur lequel vous me consultez. » [22]

42 Et [Joseph] ajouta à celui qui, des deux, se jugeait sauvé : « Rappelle-moi auprès de ton maître ! » [Mais] le Démon lui fit oublier, [rendu à la liberté], de rappeler [Joseph] à son maître, et [Joseph] demeura en prison plusieurs années. [23]

[Songes de Pharaon interprétés par Joseph.]

43 Le roi [d’Égypte] dit : « Je vois [en songe] sept vaches grasses que mangent sept vaches maigres [et je vois] sept épis verts et sept épis desséchés. Conseil ! (malâ’), éclairez-moi sur mon rêve si vous êtes capable d’interpréter les rêves ! » [24]

44 — « Amas de visions », répondirent-ils. « Nous ne sommes point savants dans l’interprétation des visions. »

45 Or celui des deux [prisonniers] qui avaient échappé s’écria, s’amendant [264] après réflexion : « Moi, je vais vous aviser de l’interprétation de [ce songe]. Dépêchez-moi ! »

46

47 [Joseph] répondit : « Vous sèmerez durant sept années selon la coutume et, ce que vous moissonnerez, laissez-le en épis, sauf une petite part que vous mangerez.

48 Ensuite viendront sept années de disette qui dévoreront ce que vous aurez amassé, en prévision d’elles, sauf une petite part que vous réserverez.

49 Puis, après cela, viendra une année où les gens seront secourus et iront au pressoir. » [26]

50

51 [Ayant entendu le rapport de son Échanson et ayant convoqué les femmes coupables], [le roi] demanda : « Quel était votre propos, [femmes !,] quand vous avez tenté Joseph de vos charmes ? » — « A Dieu ne plaise ! », répondirent-elles. « Nous ne lui connaissons aucune mauvaise action. » Et la femme du Puissant ajouta : « Maintenant, la vérité éclate. C’est moi qui ai tenté [Joseph] de mes charmes, et il est parmi les véridiques. [28]

52 [Je dis] cela pour que [le roi] sache que je ne le trahis point, hors de sa vue, et qu’Allah ne dirige point l’artifice des Traîtres.

53 Je ne m’innocente point. En vérité, l’âme est certes instigatrice [265] du mal ! [Je ne désire] que la miséricorde de mon Seigneur. Mon Seigneur est absoluteur et miséricordieux. »

54 Le roi dit : « Amenez-moi [Joseph. !] Je l’attache à ma personne. » Quand il lui eut parlé, il lui dit : « Aujourd’hui tu es auprès de moi bien en place et en confiance. » [29]

55 Joseph répondit : « Place-moi à la tête des magasins de ce pays ! Je suis bon gardien et très savant. »

56 C’est ainsi que Nous établîmes Joseph en ce pays où il s’installait partout où il voulait. Nous touchons de Notre grâce (raḥma) qui Nous voulons et Nous ne laissons point se perdre la rétribution des Bienfaisants.

57 Cependant, la rétribution de la [Vie] Dernière est certes meilleure pour ceux qui auront cru et été pieux.

[Joseph confondant ses frères.]

58 Les frères de Joseph vinrent et, étant entrés auprès de lui, Joseph les reconnut alors qu’eux ne le remirent point. [30]

59 Quand il les eut pourvus de leurs provisions, il dit : « Amenez-moi un frère à vous [resté près] de votre père ! Ne voyez-vous pas que je fais bonne mesure et que je suis le meilleur des hôtes ? [31]

60 Si vous ne me l’amenez point, pas de grains pour vous chez moi et ne m’approchez plus ! »

61 — « Nous amènerons son père à le laisser [venir] », répondirent-ils. « En vérité, certes nous [le] ferons ! »

62 [Joseph] dit à ses valets : « Remettez leurs marchandises [apportées en troc], dans leurs bagages ! Sans doute les reconnaîtront-ils, de retour parmi les leurs, et peut-être reviendront-ils [pour les restituer]. » [32]

[266] 63 Revenus auprès de leur père, [les frères de Joseph] dirent : « Le grain nous a été refusé. Envoie avec nous notre frère [Benjamin] ! Nous recevrons du grain. En vérité, nous veillerons certes sur [notre frère]. »

64 — « Votre sauvegarde pour [Benjamin] est-elle autre que celle fournie par vous, antérieurement, pour son frère [Joseph] ? Allah est le meilleur protecteur et Il est le plus miséricordieux des Miséricordieux. »

65 Quand ils eurent ouvert leurs bagages, ils trouvèrent que leurs marchandises leur avaient été rendues. « Père ! », dirent-ils, « que désirer ? Voici que nos marchandises nous ont été rendues. Nous approvisionnerons notre famille. Nous protégerons notre frère [Benjamin] et ajouterons le chargement en grain d’un chameau : c’est un chargement peu considérable. » [33]

66 — « Je n’enverrai [Benjamin] avec vous », répondit [Jacob], « que lorsque vous aurez pris l’engagement [au nom] d’Allah de me le ramener, sous peine d’être anéantis. » Quand ils eurent pris cet engagement, [Jacob] leur dit : « Allah est garant de ce que nous disons. »

67 Et il ajouta : « O mes fils !, n’entrez point [dans la ville] par une seule porte, mais entrez par des portes séparées ! Je ne vous servirai à rien contre Allah. La décision n’appartient qu’à Allah. Sur Lui je m’appuie et que, sur Lui, s’appuient ceux qui s’appuient sur Lui. » [34]

68

69 Quand ils furent entrés auprès de Joseph, celui-ci retint auprès de lui son frère [Benjamin]. « Je suis ton frère », lui confia-t-il. « Ne te désespère point de ce qu’ils ont fait ! »

70 Les ayant donc munis de leurs provisions, [Joseph] fit mettre sa coupe à boire dans la [sacoche de la] selle de son frère [Benjamin], puis il [267] fit proclamer par son héraut, avant que la caravane ne se mît en marche : « Caravaniers ! en vérité, vous êtes certes des voleurs ! »

71 [Les frères de Joseph], venant vers [les Égyptiens], dirent : « Que cherchez-vous ? »

72 — « Nous recherchons la coupe du roi », répondit [le héraut], « et quiconque la rapportera aura certes une charge de chameau [en récompense]. J’en suis garant. »

73 — « Par Allah ! », répondirent [les frères de Joseph], « vous savez que nous ne sommes pas venus pour semer le scandale en ce pays. Nous ne sommes point des voleurs. »

74 [Les Égyptiens] dirent : « Quelle sera la « récompense » de ce vol, si vous mentez ? » [36]

75 [Les frères de Joseph] répondirent : « La « récompense » de ce vol sera que celui dans la sacoche de qui la coupe sera retrouvée [restera esclave ici]. Ce sera sa « récompense ». Ainsi nous « récompensons » les Injustes ». [37]

76 [Le héraut] commença par leurs sacoches avant celle de leur frère [Benjamin]. [Enfin] [les Égyptiens] tirèrent [la coupe] de la sacoche de leur frère [Benjamin]. Ainsi Nous fîmes ourdir cet artifice à Joseph. Il ne pouvait en effet prendre son frère en caution du roi sans que Allah le voulût. Nous élevons en degré qui Nous voulons et, au-dessus de tout homme détenant la science, est un Omniscient. [38]

77 [Les frères de Joseph] dirent : « S’il a volé, un sien frère avant lui a volé également. » Joseph tint secrète sa pensée et ne la montra point et il dit : « Vous êtes dans la pire position et Allah sait très bien ce que vous insinuez. » [39]

78 — « O Puissant ! », répliquèrent [les frères], « [Benjamin] a un père âgé et chargé d’ans. Prends l’un de nous à sa place ! Nous te compterons parmi les Bienfaisants ».

79 — « Allah me garde de prendre un autre que celui chez qui nous avons trouvé notre bien. [Si nous le faisions], nous serions en vérité alors certes injustes. »

[268] 80 Désespérant de le fléchir, ils se consultèrent. L’aîné dit : « Ne savez-vous point que votre père a requis sur vous un engagement [au nom] d’Allah ? [Ne savez-vous point] ce qu’antérieurement vous avez commis envers Joseph ? Je ne quitterai point ce pays avant que mon père me l’ait permis ou qu’Allah ait jugé en ma faveur. Il est le meilleur des Juges.

81 Retournez à notre père et dites[-lui] : « Père ! ton fils a volé. Nous n’attestons que ce que nous savons. Nous n’étions point garants de l’Inconnaissable.

82 Interroge [les gens de] la cité où nous étions et la caravane avec laquelle nous étions partis. En vérité, nous sommes certes sincères. »

83 — « Non point ! », répondit [Jacob.] « Votre âme vous a suggéré un crime. Douce patience ! Peut-être Allah me les rendra-t-Il tous ! Il est l’Omniscient, le Sage. »

84 [Puis] il se détourna d’eux et s’écria : « Hélas ! ô Joseph ! » et ses yeux, de tristesse, devinrent aveugles et il était accablé.

85 [Ses fils lui] dirent : « Par Allah ! cesse d’évoquer Joseph jusqu’à te consumer et courir à ta perte ! »

86 — « Je me plains seulement à Allah de mon déchirement et de ma tristesse et je sais, par Allah, ce que vous ne savez point.

87 Fils ! partez et enquérez-vous de Joseph et de son frère ! Ne désespérez point de l’esprit (rûḥ) d’Allah, car ne désespère de l’esprit d’Allah que le peuple des Infidèles. »

88 Entrés auprès de Joseph, ils dirent : « O Puissant ! nous et notre famille avons été touchés par le malheur. Nous apportons une marchandise de peu de prix. Fais-nous bonne mesure [de grains] et fais-nous l’aumône : Allah récompense ceux qui aumônent. » [40]

89 — « Savez-vous », demanda [Joseph], « ce que vous avez fait à Joseph et à son frère alors que vous étiez sans loi ? »

90 — « En vérité, serais-tu certes Joseph ? » — « Je suis Joseph et celui-ci est mon frère. Allah nous a comblés. Quiconque est pieux et constant… Allah ne fait point perdre la rétribution des Bienfaisants. »

91 — « Par Allah ! », dirent [les frères], « Allah t’a préféré à nous et nous avons été fautifs ! »

92 [Joseph] répondit : « Que nul reproche ne tombe sur vous aujourd’hui ! [269] Allah vous pardonnera. Il est le plus miséricordieux des Miséricordieux.

93 Emportez ma tunique que voici et appliquez-la sur la face de mon père ! Il recouvrera la vue. [Puis] amenez-moi ma famille tout entière ! »

94 Quand la caravane fut sur le retour, Jacob dit : « Je décèle certes l’odeur de Joseph. Puissiez-vous ne pas m’accuser de radotage ! » [41]

95 — « Par Allah !, en vérité », lui répondit-on, « tu es dans ton ancien égarement ! »

96 [Mais] quand le porteur de la bonne nouvelle arriva, il appliqua la tunique [de Joseph] sur la face [de Jacob] : celui-ci recouvra la vue.

97/96 « Ne vous disais-je point », fit-il, « que je sais, par Allah, ce que vous ne savez point ? »

98/97 — « Père ! », répondirent [ses fils], « demande pardon à Allah pour nous, de nos péchés ! Nous avons été fautifs ».

99/98 — « Je demanderai pour vous pardon à mon Seigneur. Il est l’Absoluteur, le Miséricordieux. »

[Réunion de Joseph et des siens, en Égypte.]

100/99 Quand ils furent [tous] entrés chez Joseph, celui-ci accueillit ses père et mère et dit : « Entrez en Égypte en paix, si Allah le veut ! »

101/100 Il fit monter ses père et mère sur le trône et [les autres] tombèrent prosternés. « Cher père ! », dit Joseph, « voici l’explication de mon rêve de jadis. Mon Seigneur en a fait une réalité. Il a été bon envers moi en me faisant sortir de prison et en vous amenant [du pays] des Bédouins, après que le Démon eut mis la rupture entre mes frères et moi. Mon Seigneur est subtil pour ce qu’Il veut. Il est l’Omniscient, le Sage.

102/101 Seigneur ! Tu m’as certes donné [une parcelle] de la souveraineté. Tu m’as enseigné [une partie] de l’interprétation des énigmes. O Créateur (fâṭir) des Cieux et de la Terre ! Tu es mon protecteur en la [Vie] Immédiate et Dernière ! Rappelle-moi (tawaffā), soumis [à Toi], et fais-moi rejoindre les Saints ! »

[270]

[Péroraison.]

103/102 Ce récit est parmi les récits (’anbâ’) de l’Inconnaissable que Nous te révélons, car tu n’étais point parmi eux quand [les frères de Joseph] tombèrent d’accord et ourdirent leur machination.

103 La plupart des Hommes, même si tu le convoitais, ne seraient pas croyants.

104 Tu ne leur demandes pour cela nul salaire. C’est une Édification pour le monde (‛âlamîn).

105 Que de signes dans les cieux et [sur] la terre près desquels [les Hommes] passent et dont ils se détournent !

106 La plupart d’entre eux ne croient point en Allah sans être des Associateurs.

107 Eh quoi ! sont-ils à l’abri qu’un coup du Tourment d’Allah les atteigne ? [Sont-ils à l’abri] que l’Heure les atteigne à l’improviste et sans qu’ils [le] pressentent ?

108 Dis : « Ceci est mon Chemin. En toute clairvoyance, j’appelle à Allah, moi et ceux qui me suivent. Gloire à Allah ! Je ne suis point parmi les Associateurs. »

109 Nous n’avons envoyé, avant toi, que des hommes originaires des cités, à qui Nous envoyions révélation. [Tes contemporains] n’ont-ils point parcouru la terre et considéré quelle fut la fin de ceux qui furent avant eux ? Certes, le séjour de la [Vie] Dernière est meilleur pour ceux qui auront été pieux. Eh quoi ! ne raisonnerez-vous point ? [42]

110 Quand enfin les Apôtres désespérèrent et pensèrent qu’ils avaient été traités d’imposteurs, Notre secours leur vint. Ceux que Nous voulions furent sauvés, alors que Notre rigueur ne saurait être détournée du peuple des Coupables.

111 Dans les dits sur ces Apôtres se trouve certes un Enseignement pour ceux doués d’esprit. Ce n’est pas là un propos forgé, mais la déclaration de véracité (taṣdîq) des messages antérieurs, l’exposé détaillé de toute chose, une Direction et une Grâce (raḥma) pour un peuple qui croit.

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[1] 1 Sur ces sigles, v. Introd., 144.

[2] 3 Ce vt. ne vise pas seulement le récit qui va suivre. Le mot qaṣaṣ, en effet, est un nom verbal de valeur abstraite désignant l’action de conter, puis ce qui fait la matière du conte. Par ailleurs, à quelques exceptions près (cf. ici vt. 5), le verbe qaṣṣa, dans la langue coranique, signifie : rapporter la vie d’un Prophète, pour qu’elle soit matière d’édification ǁ wa ’in « quoique » peut aussi être déchiffré comme équivalent de wa inna-ka « en vérité toi ». Le sens est alors très net : En vérité, tu as certes été, avant cela, parmi les Insoucieux ! Le trait fait allusion à la période où Mahomet n’avait pas encore reçu la foi véridique.

[3] 4 Cf. Genèse, XXXVII, 9 sq. [Joseph] dit : « J’ai eu encore un songe. Voici : Le soleil, la lune et onze étoiles se prosternaient devant moi. » Il le raconta à son père et à ses frères. Son père le réprimanda… Ses frères eurent de l’envie contre lui.

[4] 6 al-’aḥâdîṯi « des énigmes ». Text. : des récits. Les commt. pensent qu’il s’agit de l’interprétation des songes. Cela se fonde sur la suite du texte coranique.

[5] 8 V. Genèse, ibid., 4 : Ses frères virent que leur père l’aimait plus qu’eux tous et ils prirent Joseph en haine.

[6] 9 Ce vt. et suiv. résument Genèse, ibid., 18 sqq. Toutefois, dans la Bible, Ruben propose de jeter Joseph dans une citerne pour venir ensuite le rechercher.

[7] 10 al-jubbi « de tel puits ». Il est toutefois très possible que ce substantif, ici déterminé par l’article al-, soit le nom d’un point d’eau. Il faudrait alors traduire ici, comme au vt. 15 : les profondeurs d’al-Jubb.

[8] 12 Dans Genèse, ibid., 15 sq., c’est Jacob au contraire qui ordonne à Joseph d’aller rejoindre ses frères à Sichem où ils font paître leurs troupeaux.

[9] 15 [Quand] nous eûmes révélé à Joseph etc. Aucun trait équivalent n’existe dans la Bible.

[10] 18 Dans Genèse, ibid., 33 sqq., Jacob ne met pas en doute le récit des coupables et prend le deuil, accablé de douleur.

[11] 19 Dans Genèse, ibid., Joseph est retiré du puits par ses frères qui le vendent à une caravane d’Ismaélites se rendant en Égypte.

[12] 20 La Genèse, ibid., 36 et XXXIX, 1, porte seulement que les caravaniers vendirent Joseph à Putiphar.

[13] 21 Le récit qui suit est parallèle à Genèse, XXXIX, 4 sqq. ǁ Ou le prendrons-nous etc. Ce trait n’est point biblique. Les commt., probablement à partir de données talmudiques, disent que Putiphar ne pouvait avoir d’enfants.

[14] 23 râwadat-hu ‛an-nafsi-hi « elle le tenta de ses charmes ». Cette expression est euphémistique, en arabe, mais elle implique une résistance à la tentation, chez Joseph. Elle correspond à l’expression plus crue de la Genèse : šikebâh ‛imm-î « couche avec moi ! »

[15] 24 burhâna rabbi-hi « la manifestation de son Seigneur ». Le trait n’est pas dans la Genèse, mais le Talmud parle d’une apparition de Jacob qui, sur l’ordre de Dieu, arrache Joseph à la tentation.

[16] 25 Sur les différences avec le récit biblique, v. Genèse, XXXIX, 10 sqq.

[17] 26 L’intervention de ce témoin ne se retrouve pas dans la Bible. Dans la haggada c’est Asenath, fille adoptive de Putiphar, qui intervient pour inciter celui-ci à ne point tuer Joseph.

[18] 28 Cf. Genèse, XXXIX, 19 sq. : Le maître de Joseph, enflammé de colère, prit Joseph et le mit en prison. Cf. plus bas, v. 35 sq.

[19] 30 Al-‛Azîzi « du Puissant ». Ce mot est nettement le titre donné au grand Intendant de Pharaon ; cf. vt. 78, où il est donné à Joseph, quand il remplit cette charge. On sait que dans Genèse, XXXIX, 1, Putiphar est officier de Pharaon et chef des gardes.

[20] 36 Cf. Genèse, XL, 1 sqq., qui parle de l’emprisonnement de l’échanson et du panetier du roi, avec Joseph.

[21] 37 Le discours édifiant de Joseph est propre au Coran.

[22] 41 Traits parallèles à Genèse, XL, 9 sqq.

[23] 42 Cf. ibid., 23 : le Chef des échansons ne pensa plus à Joseph et l’oublia. [XLI, 1 :] Au bout de deux ans, Pharaon eut un songe.

[24] 43 sqq. Résument Genèse, XLI, 2 sqq.

[25] 46 Ṣiddîq « juste ». C’est l’épithète que la Genèse a donnée à Joseph. — Ce verset et les suiv. résument Genèse, XLI, 17-36, où c’est Pharaon lui-même qui expose ses songes à Joseph. ǁ Peut-être reviendrai-je etc. Ce membre de phrase fait difficulté dans l’état actuel du texte. Dans la bouche de l’échanson, il ne paraît pas en effet de circonstance. Il est à présumer qu’il s’agit d’une réflexion à mettre dans la bouche de Joseph, plus bas, dans le vt. 50.

[26] 49 yuġâṯû « seront secourus ». Autre sens possible : recevront la pluie.

[27] 50 Peut-être reviendrai-je. V. vt. 46 la note.

[28] 51 L’addition en italique se justifie aux vt. 52 sq.

[29] 54 ’amîn « en confiance ». Cf. Genèse, XLI, 39 sqq. : Et Pharaon dit à Joseph : « … Il n’y a personne qui soit aussi intelligent »… C’est ainsi que Pharaon lui donna le commandement de tout le pays d’Égypte… Et Joseph partit pour visiter le pays d’Égypte.

[30] 58 Le récit qui suit résume Genèse, XLII, qui précise que la disette ayant frappé la terre de Canaan, Jacob ordonna à ses dix fils d’aller en Égypte pour se procurer du blé.

[31] 59 bi-jahâzi-him « de leurs provisions ». Il s’agit nettement des provisions nécessaires au voyage de retour en terre de Canaan. Dans le récit coranique, Joseph renvoie donc tous ses frères sans leur avoir accordé le blé demandé comme réserve. Dans Genèse, XLII, 9 sqq., Joseph accuse ses frères d’être venus comme espions et, retenant neuf d’entre eux comme otages, il leur ordonne d’envoyer le dixième chercher leur frère Benjamin. Ensuite, il se ravise et ne conserve que l’un d’eux comme otage.

[32] 62 biḍâ‛ata-hum « leurs marchandises ». Le trait provient de Genèse, XLII, 25 et 28.

[33] 65 Et ajouterons etc. Sans doute faut-il comprendre, avec les commt. : La présence de Benjamin nous vaudra une part supplémentaire de grain et comme c’est peu de chose, elle ne saurait nous être refusée.

[34] 67 N’entrez pas etc. Ce trait se retrouve dans le Talmud qui explique que, par ce moyen, les fils de Jacob auront chance d’échapper au mauvais œil.

[35] 68 Ce n’était qu’une nécessité. Il semble que ce groupe de phrases soit une addition ultérieure, de valeur explicative.

[36] 74 jazâ’u-hu « la récompense de ce vol ». Text. : sa récompense. Ce mot est d’ailleurs pris ici, comme souvent, avec le sens de « sanction ».

[37] 75 Cf. Genèse, XLIV, 9 : Que meure celui de tes serviteurs chez qui se trouvera la coupe et que nous soyons nous-mêmes esclaves de notre Seigneur.

[38] 76 Cf. ibid., 12 : l’Intendant fouilla, commençant par le plus âgé et finissant par le plus jeune et la coupe fut trouvée dans le sac de Benjamin.

[39] 77 Ce trait n’est point dans la Genèse. Les commt. y voient une allusion à un larcin commis par Joseph, en sa prime enfance.

[40] 88 Le développement qui suit résume le récit profondément humain de Genèse, XLV, 1 sqq.

[41] 94 Jacob dit. Text. : leur père dit.

[42] 109 [Tes contemporains] n’ont-ils pas etc. Text. : N’ont-ils pas etc.